La percée du Christianisme dans l'Empire Romain (312-394) 26.6.07 [FR]
Paul Veyne (*1931) est historien de l'Antiquité. 'Quand notre monde est devenu chrétien' est le livre de bonne foi d'un incroyant. (Voir rubrique Livres (Books) pour une annonce).
Comment le christianisme, ce chef d'oeuvre de création religieuse, a-t-il pu, entre 300 et 400, s'imposer à tout l'Occident? - L'Occident, c'est à dire: tout l'Empire Romain de l'époque, qui comprenait les pays entre l'Écosse au Nord-Ouest et l'Égypte au Sud-Est, ainsi qu'entre l'actuel Maroc au Sud-Ouest et la Bessarabie au Nord-Est. L'Orient commençait avec le royaume des Parthes en Irak et en Iran, prolongé par les empires bouddhistes en Inde et l'Empire chinois.
Quand l'empereur Constantin accéda au pouvoir, le christianisme était la religion de 10% des 100 millions d'habitants de l'Empire, deux siècles et demi après la création de cette religion, d'abord comme secte juive. Chrétiens étaient plus nombreux dans l'Est de l'Empire qu'à l'Ouest: En Égypte, Palestine, Syrie et Asie-Mineur leur pourcentage atteignait en moyenne 20%, tandis que la ville de Rome (1 million d'habitants à l'époque), n'en comptait que très peu, moins, de toute façon que de juifs.
À la fin du 4me siècle, le christianisme était établi comme religion d'État, l'Église subventionnée par les autorités, le paganisme devenu quasi subversif, l'unité de la foi imposée par les empereurs (manu militari, souvent), et, partout dans l'Empire, les masses converties. C'est une vraie révolution. Un événément historique qui ne se laisse pas simplement expliquer par les éventuelles considérations pratiques des empereurs, ni par une révolution sociale: les adhérents au christianisme représentaient tous niveaux économiques et les relations de pouvoir entre eux étaient une réproduction fidèle des relations de pouvoir existantes. Un esclave n'était pas libéré de son esclavage, s'il se convertissait. Au contraire, il était admonesté par les évêques à continuer à obéir à ses maîtres.
À sa manière inimitable, érudite et impertinente, Paul Veyne retient trois raisons qui peuvent expliquer la percée du christianisme:
- L'intervention de l'Empereur Constantin qui, converti sincèrement au christianisme, veut christianiser le monde, pour la sauver.
- L'originalité du christianisme, comparé aux pratiques religieuses existantes. L'Évangile voit grand: Tout le monde, toute la vie (et la vie après la mort) est régie par un seul Dieu tout-puissant, qui, en plus, promet l'amour et la rédemption en échange d'obéissance. C'était une religion d'avant-garde qui ne ressemblait à rien de connu.
- L'intelligence des méthodes d'imposition: Non pas en supprimant les pratiques païennes, mais en créant de l'espace pour l'agrandissement du réseau d'évêchés déjà existant par ses propres moyens. Puis, en imposant l'unité de la foi, en réprimant les courants minoritaires comme les Donatiens et les Ariens. L'unité de l'Église devait refléter l'unité de l'Empire. Le concile de Nicée (325) établit un "canon" assez restreint de textes (et d'interprétations) extraits des documents chrétiens existants à l'époque. Puis, les masses de la population s'en sont fait un christianisme à elles: plein de concessions aux us et coûtumes locaux.
Y-a-t-il une explication psychologique, sociologique, économique ou idéologique à cette révolution-là?
Veyne le nie. Avec arguments. Religion, besoin d'une religion, ne se laisse pas expliquer par la seule psychologie, la raison, la stratification sociale ou économique. Malgré les convictions idéologiques des fondateurs et des penseurs chrétiens, ce n'est pas non plus l'idéologie qui, à elle seule, explique ce phénomène-là.
Une méta-explication qui se base sur l'ensemble de ces approches-là, se trouve peut-être dans le besoin d'appartenance, le tribalisme, ou structure clanique des humains. On se sent davantage en sécurité, dès qu'on partage la foi, les rituels, l'espoir et les normes (tabous) avec ses voisins et les gens de son monde visible.
Ceci expliquerait aussi, pourquoi, deux siècles et demi après la grande conversion constantinienne au christianisme, la moitié orientale et africaine de la Chrétienté de l'époque, se reconvertissait sans grands problèmes à l'Islam, une nouvelle avant-garde religieuse, "moderne" et mieux accessible. On peut se perdre en spéculations sur la question si le christianisme ne soit pas pour une partie "responsable", en ayant préparé le terrain, pour l'essor de l'Islam au 7me siècle!
Deux débats actuels rendent ce livre brisant:
- La question des 'origines chrétiennes' de l'Europe. Avec la disparition du concept d'une Constitution européenne, le débat européen à ce sujet semble s'être éteint. Mais le même débat, arborant cette fois-ci les origines 'culturelles' "judéo-chrétiennes" continue au niveau des islamophobes. L'Islam serait 'incompatible' avec ces origines-là. Veyne répond que le concept des "racines" est tout à fait a-historique. Les mutations successives de l'esprit européen sont résultats d'épigenèses, une nouvelle création chaque fois, qui a bouleversé les données de l'époque précédente. Ce n'est que par une "archéologie" foucaldienne, en laissant la voie libre aux "discours" propres aux époques où ils se produisent, qu'on puisse commencer à en comprendre la structure. Appliqué au soi-disant "heurt des cultures" islamiques et chrétiennes, il faudrait plutôt suivre la pensée d'Olivier Roy, qui explique les modes d'intégrisme islamique et chrétienne actuelles, non pas par leur incompatibilité, mais, au contraire, par leurs mutations parallèles grâce à la globalisation du matérialisme du marché.
- La séparation entre État et Église. Sous le premier empereur chrétien, au 4me siècle, elle existait déjà. Elle était plus stricte qu'aujourd'hui (personne ne pensait à fonder les lois et la constitution dans la religion, par exemple), mais sur le plan informel, elle n'existait à peine. Non pas à cause d'une Église avec moins de prétentions qu'aujourd'hui, mais à cause du caractère du régime, un caractère qui sera indiscuté jusqu'à la fin du 18me siècle (en Europe occidentale, au moins): L'empereur, le roi, le président à vie, incorpore tout. Vie et mort, morale et justice. Cette conception a célébré ses retours au cours du 20me siècle, avec le stalinisme, le nazisme et le fascisme. C'est le concept de l'autoritarianisme, le totalitarisme. À travers un retour ironique de l'histoire, une partie des islamophobes actuels, les "Fanas des Lumières", voudraient imposer un nouveau totalitarisme: Celui de l'État laïque qui supprime toute pensée libre. Qui va jusqu'à vouloir imposer un nombre plus élevé d'enfants aux femmes, pour contrarier l'essor de l'Islam! (Voir mon 'Daniel Pipes rallies his anti-Islam and anti-'Eurabia' team in Malibu' - Legal Alien in New York, 11.6.07). Une politique démographique forcée qui suscite des réminiscences à un Goebbels et ses crèches norvégiens.
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