Ici: Non, pas de photo du couple Sarkozy/Carla Bruni à Disneyland. Pas non plus de photo exotique de Luxor en Égypte, où ils sont partis en vacances dans l’avion d’un ami “business”.
Je refuse. Je fais la grève. La grève politique. Culturelle!
Le lieu choisi, Disneyland, ne l’était pas par hasard. Les “Zoos Humains” (”Menschenparks”, selon de philosophe allemand Peter Sloterdijk), sont les lieux-phares de la civilisation occidentale, américanisée, du début du siècle XXI. Ils représentent les refuges narcissiques, où une bourgeoisie satisfaite, accompagnée par tous ceux qui voudraient y appartenir, mais qui ne peuvent pas se le permettre, pâtissent.
Le lieu est narcissique, car il ne représente pas le “thème” qu’il prétend développer. Il représente un “cadre”, un cadre thématique inoffensif, comme le monde biblique, l’ère jurassienne, le village mythique d’Astérix, le musée de la torture dans toutes ses formes, ou la vulgarisation violente des studios Disney de nos contes de fées. Ce n’est pas le “thème” qui compte, mais sa capacité à devenir le “cadre” autour de nos prétentions.
Sarkozy a choisi à se faire refléter dans le cadre du monde commercialement hygiénisé de la subculture américaine de Disneyland-Paris. Son invitation subliminaire est, qu’on le rejoigne dans ce narcissisme, que l’on s’y identifie, en rêvant, avec lui et avec son pouvoir magique et rassurant, en acceptant l’excuse du lieu-cadre, du “design”: ce n’est qu’un JEU. L’Homo Ludens, déchargé de toutes les contraintes sociales, a retrouvé le paradis dont il avait été chassé par les malentendus archi-connus à cause d’une femme et d’un vipère.
Sarkozy, le sauveur de nos rèves, il a ramené triomphalement la pécheresse au Jardin d’Eden. Si ce n’est pas cela, la fin de l’Histoire, qu’est-ce que vous voulez d’autre?
Autre message subliminaire: “Moi, Nicolas Sarkozy, je ne la prends pas au sérieux, cette nouvelle relation amoureuse. Ma maîtresse fait partie du monde pipol, et moi, je descends vers celui-là, car je suis omniprésent, plus rapide qu’un lièvre et plus lisse qu’un … vipère.
On se souvient que cette succursale de l’empire américain Disney s’est introduite à force de capitaux de l’Arabie Séoudite dans les environs de Paris. Mitterrand a dit, avec la finesse maligne qui lui était propre: “J’accueille ce lieu de récréation. Mais, vous savez, ce n’est pas ma tasse de thé…” C’était il y a à peine 15 ans. Mais c’est comme si c’était dans un autre monde.
Le Prince séoudien qui avait investi plusieurs de ses milliards dans l’entreprise, n’a pas apprécié les remarques macchiavéliques du vieux sorcier. Sans une nouvelle injection de capitaux après cinq ans de pertes astronomiques, l’entreprise n’aurait pas survécu. Les Européens ont été réticents à aller se faire des illusions devant leurs images dans ce cadre d’illusions tout-puissantes, infantilisantes, donc à la fois libératrices et emprisonnantes.
Enfin, une chose devient de plus en plus claire et évidente: Ce ne sont pas les habitants appauvris et relégués des faubourgs urbains, qu’on peut accuser de s’emmurer entre eux, de se construire des communautés isolées et impénétrables, de se retirer dans les illusions d’une vie sur d’autres continents aux temps d’autrefois, dans les contraintes d’une vie qui n’a jamais existé. Non, c’est les riches, les omniprésents, les cyniques pipolistes, qui s’emmurent dans leurs Zoos Humains. Qui vous y ramassent comme les pasteurs d’antan leurs troupeaux dans l’enceinte. Carla Bruni appartient, c’est le message, à ce monde-là de la satisfaction angoissée et emmurée. Le bonhomme souriant, c’est le chasseur qui jouit de son repos bien mérité au paradis artificiel retrouvé, entre deux chasses impitoyables contre le Mal, le Laid, et le Méchant dans le monde extérieur.
Tout cela correspond aux plus noirs pressentiments de Michel Houellebecq, élaborés dans un de ses derniers livres. Le monde civilisé s’est rétréci en un petit nombre de parcs emmurés viables humains, liés entre eux par l’internet et son monde virtuel. Partout ailleurs, règne la violence, le retour à l’état animal. Pour l’empêcher à prendre pied dans le monde supérieur, tout est permis, y compris les armes de destruction massale.
Ces luttes-là ne paraissent pas dans les médias de ce monde. C’est trop banal. Non, l’actualité, la passion, la conversation dans le monde des médias, c’est ce qui se trame dans les cadres “design”, les thèmes à la mode. Un conte de fées royal qui sait se situer dans ce cadre-là n’a déjà plus besoin de mots, de déclarations, d’explications. L’image, le cadre, sont suffisants.
Quelle main de maître, celle de Nicolas!
Et quelle rapidité! Les philosophes n’ont plus assez de temps à réfléchir. Seuls les hyperactifs d’entre eux ne réussissent que tel ou tel texte essayiste.
Sans attendre leurs jugements, Sarkozy a déjà changé le décor vers le pays mythique des pyramides. Autre cadre thématique qu’il aurait fallu insérer dans mon texte.
Mais je me donne vaincu. Je ne suis pas plus rapide qu’un philosophe avec ADHD.
À bientôt, cher lecteur. Rendez-vous dans le Zoo humain.
(DE: Toto Le Psycho)